Nous connaissons tous les cotons-tiges avec lesquels nous sommes devenus si familiers pendant la pandémie COVID-19. Et il se révèle qu’ils pourraient également être un outil précieux pour recenser la biodiversité. C'est la conclusion à laquelle est parvenue une équipe de recherche internationale dirigée par l'Institut Helmholtz pour One Health (HIOH) de Greifswald, un site du Centre Helmholtz de recherche sur les infections (HZI) de Braunschweig. Le groupe de chercheurs et chercheuses a découvert qu'il était possible de détecter la présence d'innombrables oiseaux et mammifères en tamponnant simplement l'ADN laissé par les animaux sur les feuilles. Les scientifiques ont démontré l'efficacité de cette méthode dans un écosystème qui abrite une grande variété d'animaux sauvages et dans un environnement où il était jusqu'à présent extrêmement difficile de les détecter : en forêt tropicale. Les chercheurs ont publié leur étude dans la revue spécialisée Current Biology.
Dans le cadre de l'appauvrissement de la biodiversité à l'échelle mondiale, il est important d'enregistrer les modifications de la faune afin de pouvoir développer des stratégies de conservation de la biodiversité. Ceci est également très important pour la santé de l’homme, puisque la plupart des maladies infectieuses émergentes proviennent des animaux sauvages. Par conséquent, connaître exactement la présence géographique des espèces animales est une première étape importante pour évaluer et éventuellement réduire le risque d'apparition de maladies infectieuses chez l’homme.
Cette étude, dirigée par les écologistes moléculaires Dr. Christina Lynggaard (Institut Helmholtz pour One Health et Globes Institut de l'Université de Copenhague) et Dr. Jan Gogarten (Institut Helmholtz pour One Health, Département de Zoologie Appliquée et de Protection de la Nature de l'Université de Greifswald), avait pour but de déterminer la composition des espèces à l'aide de méthodes simples dans un biotope défini. Récemment, Christina Lynggaard et l'équipe de Copenhague avaient démontré que l'ADN animal pouvait être extrait de l'air et analysé - ce qui a donné une idée à Jan Gogarten : « Si l'ADN animal est présent dans l'air environnant, il se peut qu'il se dépose et adhère à des surfaces collantes comme les feuilles. La forêt tropicale et ses plantes sont souvent appelées 'les poumons de la planète'. Les poumons de la planète pourraient-ils donc être l'endroit idéal pour détecter l'ADN qui se dépose dans l'air ? »
L'équipe de chercheurs a entrepris de tester cette idée dans le parc national de Kibale en Ouganda, parc connu pour la richesse de sa faune et dans lequel de nombreux biologistes s’affairent depuis des décennies. L'équipe s'est rendue dans la forêt tropicale dense avec 24 cotons-tiges et a eu pour mission inhabituelle de tamponner des feuilles pendant trois minutes. "Honnêtement, nous ne nous attendions pas à de grands résultats", explique Christina Lynggaard. "La forêt tropicale est chaude et humide, et dans ces conditions, l'ADN se dégrade rapidement".
C'est pourquoi les chercheurs ont été très agréablement surpris lorsqu'ils ont obtenu les résultats du séquençage de l'ADN. "Nous avons trouvé de l'ADN d'un nombre incroyable d'animaux différents sur ces 24 cotons-tiges - plus de 50 espèces de mammifères et d'oiseaux, ainsi qu'une grenouille. Et tout cela après seulement 72 minutes de tamponnage de feuilles", explique Jan Gogarten.
Sur chacun des cotons-tiges, les chercheurs ont trouvé de l'ADN de près de huit espèces animales en moyenne, certaines menacées d’extinction. L'éventail allait du très grand éléphant d'Afrique à une très petite espèce d'oiseau. Les chercheurs ont également pu identifier la roussette à tête de cheval, dont l'envergure des ailes peut atteindre un mètre, des singes comme le rare cercopithèque de l'Hoest et le primate piliocolobus tephrosceles, une espèce menacée, ainsi que des rongeurs comme le protoxerus. On a également trouvé des oiseaux comme le touraco géant et le perroquet jaco, une espèce en voie de disparition. "Le grand nombre d'espèces animales détectées et le taux de détection élevé par la méthode du coton-tige montrent que l'ADN animal peut être facilement collecté sur des feuilles et ensuite analysé", explique Gogarten.
"Cette méthode pourrait, à plus grande échelle, servir de base d'information pour recenser l’effondrement de la biodiversité, la biodiversité elle-même et affiner les stratégies de gestion de la faune".
Partout dans le monde, les animaux sont gravement menacés par les activités humaines, la perte de leur biodiversité étant particulièrement dramatique dans les régions tropicales. La perte d'espèces a des conséquences profondes sur les services et fonctions de base de ces écosystèmes, y compris la pollinisation des plantes et la dispersion des graines. La surveillance des populations animales est donc essentielle pour comprendre l'ampleur des changements dans les écosystèmes et pour soutenir l'élaboration de stratégies de gestion efficaces. Elle permet en outre d'évaluer le risque de transmission de maladies dans les zones où des contacts entre les animaux sauvages et les humains sont probables. "Compte tenu des nombreux facteurs qui évoluent rapidement sur notre planète, comprendre leur impact sur les populations d'animaux sauvages est une tâche complexe mais cruciale", explique Jan Gogarten. "Nous savons que de nombreux animaux vivent dans les forêts tropicales denses, mais nous ne les apercevons que rarement. Leurs domaines d’activités en permanente évolution rendent une cartographie très difficile. Notre méthode d'échantillonnage remarquablement simple nous donne un outil efficace pour rendre visible l'invisible".
"L'écouvillonnage de feuilles ne nécessite pas en soi d'équipement coûteux et complexe ou de longues formations et est facilement accessible dans des programmes de sciences citoyennes", explique Christina Lynggaard. "Pendant la pandémie COVID-19, les tests corona avec extraction automatisée d'acides nucléiques à partir de millions d'écouvillons par jour étaient courants, et les instruments d'analyse nécessaires étaient répartis aux quatre coins du monde. Et si ces instruments pouvaient être reconvertis pour réaliser un monitoring complet des animaux à grande échelle à l'aide de cotons-tiges ?"
Publication originale :
Christina Lynggaard, Sébastien Calvignac-Spencer, Colin A. Chapman, Urs Kalbitzer, Fabian H. Leendertz, Patrick A. Omeja, Emmanuel A. Opito, Dipto Sarkar, Kristine Bohmann, Jan F. Gogarten (2023). Vertebrate environmental DNA from leaf swabs. Current Biology. DOI: 10.1016/j.cub.2023.06.031